DETAILS
- Date 08 Déc 2016
- Catégorie Fautes inexcusables
Au sujet de cette décision
TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE DE ROUEN
JUGEMENT DU 30 JUIN 2015
RECOURS: 21300574
Monsieur X
CONTRE:
SOCIETE Y
MISE EN CAUSE:
La Caisse Primaire d’Assurance Maladie
OBJET: Faute inexcusable
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES:
Le 9 juillet 2013, monsieur X, victime d’un accident du travail le 14 décembre 2012, a saisi le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale.
Sous le bénéfice de l’exécution provisoire, il demande au Tribunal de dire que la société Y a commis une faute inexcusable; de fixer au maximum la majoration de la rente; d’ordonner une mesure d’expertise; de lui allouer une provision de 5000 euros à valoir sur la réparation de ses préjudices dont la Caisse aura à faire l’avance; de condamner l’employeur à lui payer la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Il explique en substance qu’il est victime d’actes répétés constitutifs de harcèlement ; ses conditions de travail n’ont cessé de se dégrader ce qui a entraîné une altération de sa santé physique comme mentale ; depuis son altercation avec monsieur S, il bénéficie d’un suivi psychologique ; l’employeur est tenu d’une obligation de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité et notamment en matière de harcèlement moral ; la société Y a manqué à son obligation alors qu’elle connaissait l’existence de risques psychosociaux présents dans l’entreprise ; dans le cadre d’un compte rendu du 28 juin 2010, il est fait état des comportements agressifs ; aucune mesure n’a été prise ; les conditions de travail se sont dégradées à raison de la réorganisation par l’employeur de son poste de travail ; il a été victime de dévalorisation constante ; un autre salarié a pu dénoncer des faits de harcèlement permettant de prendre la mesure de l’ambiance pour le moins détestable régnant au sein de l’agence ; il avait lui même alerté son employeur sur la réalité des dégradation de ses conditions. de travail notamment par une lettre en date du 7 mars 2012 ; la carence de l’employeur, qualifiée de mépris par certains salariés, est à l’origine même indirecte de la survenance de l’accident ; les propos tenus ont été générés par une organisation carentielle du travail ; la prévention du harcèlement incombe à l’employeur ; le législateur attend de l’employeur la mise en œuvre de toutes mesures permettant d’éviter que le salarié souffre au travail ; il ne suffit pas de prévenir des actes de perversité mais de s’abstenir de mettre en place une organisation de nature à compromettre la santé et la sécurité des travailleurs concernés ; l’employeur doit évaluer ou faire évaluer les risques d’un style de management, reporter le résultat de son évaluation dans le document unique, de l’interdire s’il apparaît que ce style de management présente des dangers ou les germes d’un danger.
Par conclusions reprises à l’audience, la société Y demande au Tribunal de rejeter les demandes; de condamner monsieur X à lui payer la somme de 2000 euros en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Elle soutient pour l’essentiel que monsieur X n’a eu qu’une altercation verbale avec monsieur S, autre vendeur de l’agence K ; monsieur S a protesté et contesté les allégations de monsieur X si bien qu’il s’agit d’un débat qui restera sans élément vérifiable à un point tel qu’il ne permet pas d’établir la matérialité de faits constitutifs de la faute inexcusable de l’employeur ; monsieur X ne justifie pas avoir avisé son employeur de difficultés antérieures à ladite altercation et en particulier d’une dégradation de ses conditions de travail depuis 2010/2011; les attestations visant à faire croire à un climat général de tension ne suffisent pas ; le principal élément sur lequel s’appuie monsieur X pour étayer la prétendue connaissance de l’employeur sur l’existence de risques psychosociaux dans l’entreprise est un compte rendu de réunion du 28 juin 2010 dont on ignore la provenance et l’objet exacts et ce compte rendu décrit les mesures prises par l’employeur pour tenter de remédier aux dysfonctionnements collectifs et défauts d’organisation.
La Caisse Primaire d’Assurance Maladie s’en rapporte sur la faute inexcusable et les réparations complémentaires prévues par les articles L 452-2, L 452-3 du Code de la Sécurité Sociale. Elle sollicite, en cas de reconnaissance de la faute inexcusable, la condamnation de l’employeur à lui rembourser le montant des réparations pouvant être allouées à monsieur X.
MOTIFS:
- I) Sur la demande de reconnaissance de la faute inexcusable
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en matière d’accident du travail ; que ce manquement a le caractère d’une faute inexcusable quand l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Monsieur X a été victime d’un accident du travail le 14 décembre 2012 ayant fait suite à une altercation avec monsieur S, autre salarié (qui a voulu le frapper) au sujet du travail et de réflexions qui auraient été faites et qui a provoqué chez monsieur X un syndrome anxio dépressif ainsi que noté dans le certificat médical initial du 17 décembre 2012.
Il est constant que la prévention des risques psycho-sociaux incombe au chef d’entreprise au titre de son obligation générale de sécurité ; il doit intervenir en amont pour prévenir les agissements de harcèlement ; il doit aussi s’abstenir de mettre en place une organisation de nature à compromettre la santé et la sécurité des travailleurs ; il doit évaluer les risques d’un style de management, reporter le résultat de son évaluation dans le document unique, interdire un style de management qui présente des dangers ou les germes d’un danger ; le risque psycho-social doit être évalué.
En l’espèce l’employeur était informé par un compte rendu de réunion en date du 28 juin 2010, ayant eu pour objet-les résultats et l’organisation de l’agence, d’un constat de fortes tensions dans l’agence entre les commerciaux et la vente interne, tensions ayant pour origine des défauts dans l’organisation interne de l’agence. Il y est précisé que d’une manière générale, les comportements agressifs ou les dénigrements
ne peuvent être tolérés davantage.
Le médecin du travail atteste le 17 décembre 2012 de l’existence d’une situation très conflictuelle pour monsieur X avec son encadrement depuis un an du fait d’un changement de responsable.
Il est amplement attesté qu’avant l’accident du travail, monsieur X a subi beaucoup de reproches lors de réunions, que les conditions de travail se sont dégradées, qu’un climat de tension existait au sein de l’agence dans un contexte malsain se traduisant par des jalousies entre collègues et du mépris à l’égard des salariés, que la hiérarchie faisait des remarques désobligeantes régulières à monsieur X sur son lieu de travail. Il est attesté par bon nombre de témoins qu’ils ont eu à subir la pression de la direction et ont pour certains démissionné. Monsieur LEFEBVRE souligne la désinvolture dont fait preuve la direction ainsi que son profond mépris.
Dans ce contexte, il appartenait à l’employeur d’évaluer les risques psychosociaux dans son entreprise et de prendre des mesures afin de mettre fin aux tensions qui existaient et qui étaient soulignées dès le 28 juin 2010. Or la société Y ne produit aucun élément pour exposer ce qu’elle a mis en œuvre pour assurer la protection de ses salariés et notamment de monsieur X de faits d’agression. Or l’agression s’est manifestée et le style de management choisi par l’employeur a contribué à la survenance de ce qui était redouté ainsi que cela ressort de la pièce ci-dessus analysée.
Le tribunal considère que les conditions de la faute inexcusable sont réunies -conscience du danger et absence de mesures pour protéger le salarié. Elle sera retenue.
- II) Sur les conséquences de la reconnaissance de la faute inexcusable
L’état de santé de monsieur X a été consolidé le 14 octobre 2013. son taux d’incapacité permanente partielle a été fixé à 65 % par le tribunal du contentieux de l’incapacité.
La majoration de la rente sera fixée à son maximum.
Une mesure d’expertise sera ordonnée selon la mission indiquée au dispositif (la question relative à l’aménagement de l’habitation et du véhicule ne sera pas posée eu égard à la nature des séquelles) et une provision de 3000 euros sera allouée à monsieur X à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de monsieur X les frais exposés pour présenter son dossier.
La société Y sera condamnée à lui payer la somme de 1200 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire de la décision.
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal statuant publiquement contradictoirement en premier ressort.
Dit que l’accident du travail dont monsieur X a été. victime le 14 décembre 2012 est dû à la faute inexcusable de la société Y :
Ordonne une mesure d’expertise médicale confiée au:
Docteur MELKI Jean
Hôpital Charles NICOLLE 1 Rue de Germant
76000 ROUEN
Docteur MELKI Jean Hôpital Charles NICOLLE 1 Rue de Germont76000 ROUEN avec pour mission de prendre connaissance de l’entier dossier médical de monsieur X de convoquer les parties et:
– d’indiquer si la victime a subi un déficit fonctionnel temporaire qui inclut pour la période antérieure à la date de consolidation l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que les temps d’hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante, en préciser la durée et l’importance;
– décrire les souffrances physiques et morales endurées, les évaluer sur l’échelle de 7 termes;
– donner son avis sur l’existence d’un préjudice d’agrément qui vise exclusivement l’indemnisation du préjudice lié à l’impossibilité pour la victime à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs;
– décrire la nature et l’importance du préjudice esthétique et l’évaluer sur l’échelle de 7 termes;
– donner son avis sur l’existence d’un préjudice sexuel;
– dire si l’état de monsieur X a engendré un besoin en tierce personne avant consolidation et le quantifier;
Dit que l’expert avant de commencer sa mission fera connaître au Président du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale le montant envisagé de ses honoraires.
Rappelle qu’il doit convoquer l’ensemble des parties au litige.
Fixe à 3000 euros la provision à valoir sur la réparation des préjudices subis par monsieur X
Dit que cette somme lui sera avancée par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie
Condamne la société Y à rembourser à la caisse les sommes dont cette dernière est tenue de faire l’avance;
Condamne la société Y à payer à monsieur X la somme de 1200 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.