employeur accident du travail

Tci : l’opposabilité à l’employeur du taux de rente

L’étau se resserre de jour en jour sur les employeurs et les possibilités qu’ils avaient de discuter de l’opposabilité des AT/MP qui leur étaient facturé.

La première étape a consisté au 01 Janvier 2010 à opposer à l’employeur la notification de l’AT/MP qui lui était faite par la CPAM et à l’enfermer dans un délai de deux mois pour contester l’opposabilité du sinistre.

La seconde étape depuis Janvier 2013 a consisté à dénier les effets de l’inopposabilité en présence d’une faute inexcusable.

La dernière étape cette fois jurisprudentielle consiste à restreindre les sources d’inopposabilité dela rente AT/MP.

I- En effet la Cour de Cassation vient de valider le 11 Juillet 2013  la position de la CNITAAT relativement au respect du principe du contradictoire par la CPAM s’agissant de la discussion sur l’opposabilité du taux de rente à l’employeur devant le Tribunal du contentieux de l’incapacité.

Je vous rappelle que l’article R.143-8 alinéa 2 du code de la sécurité sociale dispose que :

“Dans ce même délai (celui de dix jours suivant la réception de la déclaration de recours devant le tribunal du contentieux de l’incapacité), la caisse est tenue de transmettre au secrétariat les documents médicaux concernant l’affaire et d’en adresser copie au requérant ou, le cas échéant, au médecin qu’il a désigné.”

Ces documents sont ceux des articles R.441-13 et D.461-29 : la déclaration d’accident et l’attestation de salaire, les divers certificats médicaux, les constats faits par la caisse primaire…

Nous considérions puisque tel était l’objet de la discussion que la CPAM devait produire le rapport motivé du médecin chargé de l’évaluation du taux exactement motivé et ne pouvait se réfugier derrière l’appartenance dudit médecin à la CNAM ou à une invocation incantatoire du secret médical.

Nous plaidions qu’en ce comportant comme tel, la CPAM méconnaissait non seulement les dispositions du code de procédure civile en matière de respect des droits de la défense, mais aussi celles de l’article 6-1 de la convention européenne des droits de l’homme (principe d’égalité des armes), ainsi que les règles d’administration de la preuve prévues aux articles 1315 et suivants du code civil.

C’est dans ces conditions que la Cour de Cassation (antérieurement à l’avènement du nouvel article L.143-32 du CSS) faisait droit à notre argumentaire. Voir l’arrêt du 19 Février 2009 :

“L’employeur assume in fine une bonne part du coût résultant de la fixation d’un taux d’incapacité permanente à la suite d’un accident du travail, au travers du taux de ses cotisations accident du travail (AT). A ce titre il doit en cas de contestation pouvoir accéder à l’ensemble des pièces du dossier.»

Cette position était relayée par les Tribunaux du contentieux de l’Incapacité (voir TCI de Seine-Maritime du 18 Mai 2009) :

“Attendu qu’il ressort de l’article R.243-8 du Code de la Sécurité Sociale est tenue d’adresser copie des documents médicaux concernant l’affaire au requérant ou au médecin qu’il désigne le cas échéant.

Attendu qu’il ressort de l’arrêt du 19 Février 2009 de la Cour de Cassation que ni l’indépendance du service médical vis-à-vis de la caisse, ni les réserves émises par celle-ci sur le respect du secret médical ne peuvent exonérer les parties à la procédure du respect des principes d’un procès équitable.

Attendu qu’en conséquence la CPAM d’ELBEUF en ne communiquant pas l’entier rapport d’évaluation de rente d’incapacité permanente partielle à la suite de la consolidation du 13 Juin 2008 de la maladie professionnelle du 31 Octobre 2006 DE Mme Dominique ARTU a empêché la société AERAZUR NEWCO de vérifier si elle avait fait une juste appréciation des faits et une exacte application du barème indicatif d’invalidité.

Il est fait droit à la demande d’inopposabilité de la société AERAZUR”

II- L’article R.143-32 du Code de la Sécurité sociale est entré en vigueur le 28 Avril 2010 et jusqu’alors les plaideurs étaient pour la plupart dubitatifs quant à sa mise en ½uvre :

Lorsque la juridiction du contentieux technique de la sécurité sociale saisie d’une contestation mentionnée aux 2° et 3° de l’article L.143-1 a désigné un médecin expert ou un médecin consultant, son secrétariat demande au praticien-conseil du contrôle médical dont le rapport a contribué à la fixation du taux d’incapacité permanente de travail objet de la contestation de lui transmettre ce rapport.

Le praticien-conseil est tenu de transmettre copie de ce rapport en double exemplaire au secrétariat de la juridiction dans un délai de dix jours à compter de la réception de la demande. Chaque exemplaire est transmis sous pli fermé avec la mention “confidentiel ” apposée sur l’enveloppe.

Le secrétariat de la juridiction notifie dans les mêmes formes un exemplaire au médecin expert ou au médecin consultant ainsi que, si l’employeur en a fait la demande, au médecin mandaté par celui-ci pour en prendre connaissance.

Il informe la victime de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle de la notification au médecin mandaté par l’employeur par tout moyen permettant d’établir sa date certaine de réception.

Nous pensions que les dispositions de l’article R.143-8 Alinéa 2 n’en restaient pas moins applicables et qu’il appartenait toujours à la CPAM d’adresser son entier dossier au greffe de la juridiction ainsi qu’au médecin conseil de l’employeur dans un délai de 10 jours de son information de la saisine de la juridiction.

En présence d’un tel manquement (à vrai dire systématique), certaines juridictions et notamment celle de haute Normandie considéraient qu’elles n’avaient pas à palier les carences de la CPAM.

En conséquence de quoi, selon nous, la juridiction n’avait pas à se poser la question de la désignation d’un médecin conseil ou médecin expert (phase n°2), puisque la CPAM n’avait pas respecté les obligations lui incombant au cours de la phase n°1.

La Cour de cassation ne valide pas cette position, elle considère en effet que la communication résultant des dispositions de l’article L.143-8 du CSS ne s’étend pas au rapport d’évaluation du médecin conseil du contrôle médical dont la communication ne peut se faire que suivant les modalités de l’article R.143-32 et R.143-33. Dès lors en procédant pas à cette communication ab initio ou en dehors de la procédure d’expertise légale précédemment évoquée la CPAM n’encourt l’inopposabilité de sa décision.

III – La procédure préalable à la discussion sur le taux de la rente sera donc la suivante :

L’employeur conteste le taux de rente devant le TCI.

Dans les 10 jours la CPAM doit adresser les éléments médicaux sauf le rapport d’évaluation.

La juridiction désigne un médecin expert.

Le secrétariat de la juridiction se fait transmettre dans un délai de 10 jours le rapport sous pli confidentiel qu’elle adresse à son propre médecin expert ainsi qu’au médecin conseil de l’employeur

IV – Des discussions de pure forme vont probablement continuer relativement au respect des deux délais de 10 jours pour d’une part la transmission des pièces du dossier R.441-13 et D.461-29 et d’autre part l’envoi du rapport d’évaluation contenant les éléments de l’article R.143-33.

Vu les termes de l’arrêt de la Cour de Cassation du 11 Juillet 2013 faisant état “d’une communication des pièces en temps utile” il y a fort à parier que l’on ne soit pas en présence de délais de rigueurs permettant d’élever l’inopposabilité en cas de non respect.

A partir de maintenant lorsque nous plaiderons nous continuerons certes à nous assurer que les communications sont complètes, pour que nos médecins experts puissent opérer une vérification effective de la détermination du taux de rente mais le gros de notre discussion sera désormais relatif à la motivation par le médecin conseil de la caisse de son rapport.

V – L’article 434-2 du Code de la Sécurité sociale dispose, dans son 1er alinéa, que le taux de l’incapacité permanente est déterminé compte tenu d’un barème indicatif d’invalidité.

Les taux d’incapacité proposés sont des taux moyens, et le médecin chargé de l’évaluation garde, lorsqu’il se trouve devant un cas dont le caractère lui paraît particulier, l’entière liberté de s’écarter des chiffres du barème ; il doit alors exposer clairement les raisons qui l’y ont conduit.

Le barème indicatif a pour but de fournir les bases d’estimation du préjudice consécutif aux séquelles des accidents du travail et maladies professionnelles et de permettre un contrôle.

Les quatre premiers éléments de l’appréciation l’incapacité permanente concernent l’état du sujet.

Le dernier élément concerne les aptitudes et la qualification professionnelle (élément médico-social).

Il appartient au médecin chargé de l’évaluation, lorsque les séquelles de l’accident ou de la maladie professionnelle lui paraissent devoir entraîner une modification dans la situation professionnelle de l’intéressé, ou un changement d’emploi, de bien mettre en relief ce point susceptible d’influer sur l’estimation globale.

Les éléments dont le médecin doit tenir compte, avant de proposer le taux médical d’incapacité permanente, sont donc :

1° La nature de l’infirmité. Cet élément doit être considéré comme la donnée de base d’où l’on partira, en y apportant les correctifs, en plus ou en moins, résultant des autres éléments. Cette première donnée représente l’atteinte physique ou mentale de la victime, la diminution de validité qui résulte de la perte ou de l’altération des organes ou des fonctions du corps humain.

2° L’état général. Il s’agit là d’une notion classique qui fait entrer en jeu un certain nombre de facteurs permettant d’estimer l’état de santé du sujet. Il appartient au médecin chargé de l’évaluation d’adapter en fonction de l’état général, le taux résultant de la nature de l’infirmité. Dans ce cas, il en exprimera clairement les raisons.

L’estimation de l’état général n’inclut pas les infirmités antérieures – qu’elles résultent d’accident ou de maladie – ; il en sera tenu compte lors de la fixation du taux médical.

3° L’âge. Cet élément, qui souvent peut rejoindre le précédent, doit être pris en considération sans se référer exclusivement à l’indication tirée de l’état civil, mais en fonction de l’âge organique de l’intéressé. Il convient ici de distinguer les conséquences de l’involution physiologique, de celles résultant d’un état pathologique individualisé. Ces dernières conséquences relèvent de l’état antérieur et doivent être estimées dans le cadre de celui-ci.

On peut ainsi être amené à majorer le taux théorique affecté à l’infirmité, en raison des obstacles que les conséquences de l’âge apportent à la réadaptation et au reclassement professionnel.

4° Facultés physiques et mentales. Il devra être tenu compte des possibilités de l’individu et de l’incidence que peuvent avoir sur elles les séquelles constatées. Les chiffres proposés l’étant pour un sujet normal, il y a lieu de majorer le taux moyen du barème, si l’état physique ou mental de l’intéressé paraît devoir être affecté plus fortement par les séquelles que celui d’un individu normal.

5° Aptitudes et qualification professionnelles. La notion de qualification professionnelle se rapporte aux possibilités d’exercice d’une profession déterminée. Quant aux aptitudes, il s’agit là des facultés que peut avoir une victime d’accident du travail ou de maladie professionnelle de se reclasser ou de réapprendre un métier compatible avec son état de santé.

Lorsqu’un accident du travail ou une maladie professionnelle paraît avoir des répercussions particulières sur la pratique du métier, et, à plus forte raison, lorsque l’assuré ne paraît pas en mesure de reprendre son activité professionnelle antérieure, le médecin conseil peut demander, en accord avec l’intéressé, des renseignements complémentaires au médecin du travail. La possibilité pour l’assuré de continuer à occuper son poste de travail – au besoin en se réadaptant – ou au contraire, l’obligation d’un changement d’emploi ou de profession et les facultés que peut avoir la victime de se reclasser ou de réapprendre un métier, devront être précisées en particulier du fait de dispositions de la réglementation, comme celles concernant l’aptitude médicale aux divers permis de conduire.

Quant au calcul de la rente il convient de rappeler que les séquelles d’un accident du travail ne sont pas toujours en rapport avec l’importance de la lésion initiale : des lésions, minimes au départ, peuvent laisser des séquelles considérables, et, à l’inverse, des lésions graves peuvent ne laisser que des séquelles minimes ou même aboutir à la guérison.

Le médecin chargé de l’évaluation ne peut donc pas proposer de taux médical, car il se trouve devant un état de guérison. On peut cependant envisager qu’une maladie d’origine professionnelle oblige à un changement de profession, sans lequel la guérison ne serait pas possible, et qu’alors le préjudice résultant de l’inaptitude entraînée par la maladie en cause, soit réparé.

Dans ce cas, il appartient au médecin chargé de l’évaluation de bien mettre en évidence dans ses conclusions la nécessité d’un changement d’emploi.

1. Séquelles résultant de lésions isolées.

Ces séquelles seront appréciées en partant du taux moyen proposé par le barème, éventuellement modifié par des estimations en plus ou en moins résultant de l’état général, de l’âge, ainsi que des facultés physiques et mentales, comme il a été exposé ci-dessus.

2. Infirmités multiples résultant d’un même accident.

On appelle infirmités multiples, celles qui intéressent des membres ou des organes différents.

Lorsque les lésions portant sur des membres différents intéressent une même fonction, les taux estimés doivent s’ajouter, sauf cas expressément précisés au barème.

3. Infirmités antérieures.

L’estimation médicale de l’incapacité doit faire la part de ce qui revient à l’état antérieur, et de ce qui revient à l’accident. Les séquelles rattachables à ce dernier sont seules, en principe, indemnisables. Mais il peut se produire des actions réciproques qui doivent faire l’objet d’une estimation particulière.

a. Il peut arriver qu’un état pathologique antérieur absolument muet soit révélé à l’occasion de l’accident de travail ou de la maladie professionnelle mais qu’il ne soit pas aggravé par les séquelles. Il n’y a aucune raison d’en tenir compte dans l’estimation du taux d’incapacité.

b. L’accident ou la maladie professionnelle peut révéler un état pathologique antérieur et l’aggraver. Il convient alors d’indemniser totalement l’aggravation résultant du traumatisme.

c. Un état pathologique antérieur connu avant l’accident se trouve aggravé par celui-ci. Etant donné que cet état était connu, il est possible d’en faire l’estimation. L’aggravation indemnisable résultant de l’accident ou de la maladie professionnelle sera évaluée en fonction des séquelles présentées qui peuvent être beaucoup plus importantes que celles survenant chez un sujet sain. Un équilibre physiologique précaire, compatible avec une activité donnée, peut se trouver détruit par l’accident ou la maladie professionnelle.

Afin d’évaluer équitablement l’incapacité permanente dont reste atteinte la victime présentant un état pathologique antérieur, le médecin devra se poser trois questions :

1° L’accident a-t-il été sans influence sur l’état antérieur ?

2° Les conséquences de l’accident sont-elles plus graves du fait de l’état antérieur ?

3° L’accident a-t-il aggravé l’état antérieur ?

Pour le calcul de cette incapacité finale, il n’y a pas lieu, d’une manière générale, de faire application de la formule de Gabrielli. Toutefois, la formule peut être, dans certains cas, un moyen commode de déterminer le taux d’incapacité et l’expert pourra l’utiliser si elle lui paraît constituer le moyen d’appréciation le plus fiable.

C’est dans ces conditions que doit être rédigé le rapport d’évaluation du Service médical et chaque point doit pouvoir être vérifié par l’employeur qui est le payeur.

Le rapport établi par ce  médecin doit expressément viser et distinguer:

–         Le barème indicatif et indiquer éventuellement les raison qui l’en ont fait s’écarter.

–         La nature de l’infirmité (l’atteinte physique ou mentale de la victime, la diminution de validité qui résulte de la perte ou de l’altération des organes ou des fonctions du corps humain)

–         L’état général. Le médecin adapte en fonction de l’état général, le taux. Il doit en cependant exprimer clairement les raisons. Il devra enfin prendre  en considération l’état antérieur de l’assuré.

–         L’âge. En distinguant les conséquences de l’involution physiologique, de celles résultant d’un état pathologique individualisé. Ces dernières conséquences relèvent de l’état antérieur et doivent être estimées dans le cadre de celui-ci.

–         Facultés physiques et mentales. Il doit être tenu compte des possibilités de l’individu et de l’incidence que peuvent avoir sur elles les séquelles

–         Aptitudes et qualification professionnelles.

–         Séquelles nécessitant une modification dans la situation de l’intéressé

–         Demande éventuelle de renseignements complémentaires au médecin du travail.

Nous conseillons donc aux employeurs de s’attacher les services d’un médecin conseil qui lorsqu’il sera en possession du rapport d’évaluation de la rente opérera une vérification du taux arbitré.

Seule la partie du taux objectivée restera opposable à l’employeur.

Les employeurs sont – comme nous l’avons écrit à plusieurs reprises – les payeurs des AT/MP. Même s’ils doivent assumer financièrement les conséquences de ceux-ci, ils doivent continuer de pouvoir vérifier la réalité du sinistre et son ampleur.

Par Me Cherrier